PUNIQUE (ART)

PUNIQUE (ART)
PUNIQUE (ART)

L’art punique s’exprime dans les œuvres produites par des Phéniciens d’Occident, les Puniques, et retrouvées à Carthage, dans ses colonies et dans toutes les agglomérations contrôlées par elle, touchées par ses marchandises ou gagnées à ses modes: en Afrique du Nord, Tripolitaine, Sardaigne, Sicile, Espagne...

À Carthage, où il ne montre aucune solution de continuité avec l’art phénicien, l’art punique est difficile à cerner à ses débuts. Ailleurs, il peut être appréhendé à partir de 550 avant J.-C. environ, quand la cité africaine relayant Tyr devient, en Méditerranée, le centre des initiatives et du rayonnement; mais il se superpose souvent alors à l’art ancestral dont il est malaisé de le distinguer. En tout cas, reflet d’une civilisation qui meurt en 146 avant J.-C., il s’éteint avec elle mais non sans avoir suscité des prolongements à l’époque romaine dans la culture néo-punique.

Pour l’apprécier, la punicologie en plein essor bénéficie des vestiges d’une métropole saccagée par les Romains, des substructures remarquablement conservées d’une cité provinciale, Kerkouane en Tunisie, et d’innombrables sites côtiers inégalement préservés. Mais l’essentiel de la documentation provient du domaine funéraire.

L’héritage phénicien

L’héritage phénicien a une très large part dans l’art des Puniques. Mais ces derniers ayant manifestement redéfini leurs options commerciales pour mieux les adapter à la conjoncture méditerranéenne ont renoncé, du même coup, à une partie du savoir-faire ancien. Les figurines de bronze ne se réduisent plus désormais qu’à quelques unités, les coupes de métal ouvragé ont disparu, comme les appliques de meuble en ivoire sculpté, et le délicat façonnage de l’ivoire – remplacé le plus souvent par l’os dans des spatules, des flacons, des appliques de cercueil décorées, etc. – n’est plus guère rappelé que par la production sarde qui offre des pièces originales et de qualité (perroquet, tête de gorgone, etc.).

En revanche, tout ce qui dans l’art phénicien ressortit à l’architecture, la sculpture, la verrerie ou la céramique se prolonge dans l’art punique et évolue sans rupture avec l’esprit du passé.

Les fortifications restent apparemment de hautes et puissantes murailles crénelées équipées de portes et de tours avancées. Mais elles peuvent comporter aussi des poternes et se développer sur deux lignes parallèles – ou trois, comme à Carthage – de part et d’autre d’un fossé. D’imposants vestiges l’illustrent, à Tharros en Sardaigne, à Carthagène en Espagne, ou à Motyé en Sicile. Les habitations , assez bien connues pour la période du Ve au IIe siècle par les sites de Sélinonte, de Motyé, de Carthage... et de Kerkouane surtout, demeurent, semble-t-il, des maisons à terrasses. Construites sur un ou deux niveaux au moins à l’aide de murs de briques crues, ou d’orthostates combinés à des moellons, elles s’ordonnent autour d’une cour centrale, ou antérieure, et comportent souvent une citerne et une salle d’eau avec baignoire. Leurs murs sont stuqués et peints, et leurs sols, tapissés de mosaïques ou de mortiers aux inclusions de couleur. Comme par le passé, les temples bâtis , souvent équipés de dépendances, comportent un autel et répondent à des plans et à des proportions variés – dont le très caractéristique plan tripartite sémitique avec pièces en enfilade relevé notamment à Tharros. L’iconographie des ex-voto puniques, renforcée par la découverte d’éléments d’architecture hellénistiques, donne à penser que certains d’entre eux, datables du IVe au IIe siècle, imitent ou reproduisent des temples grecs mais avec des notes orientales dans le décor: un disque ailé sculpté sur le linteau, par exemple. La même influence hellénique, concrétisée à Carthage par des colonnes ioniques, peut d’ailleurs affecter aussi à basse époque la structure des ports souvent artificiels. Quant aux tombes , elles respectent le principe ancien de la chambre souterraine mais en renonçant assez tôt aux spectaculaires mais rares tombeaux bâtis en pierre de taille, et en multipliant, à partir du IVe siècle, sur la paroi du puits, les caveaux excavés, les agrémentant de rares moulures, bas-reliefs ou peintures, comme à Monte Sirai (Sardaigne), à Carthage ou au Djebel Mlezza (Tunisie).

En ce qui concerne la statuaire , dont la rareté ne se dément pas à l’époque punique, elle est, tout spécialement à partir du IVe siècle, marquée par l’influence grecque sans que le souvenir de l’Orient soit totalement oublié. Cette rencontre des deux cultures est illustrée par des œuvres locales ou commandées à des artistes grecs, telles que L’Éphèbe de Motyé (Ve s.) ou l’étonnante Prêtresse de Carthage (IIIe s.) sculptée puis rehaussée de couleurs vives sur le couvercle d’un sarcophage de marbre façonné à l’imitation d’un temple grec: un vêtement d’ailes enserre son corps et une tête de faucon dissimule sa chevelure. Les plus luxueux sarcophages carthaginois sont ainsi travaillés, avec toit à double versant, fronton décoré et acrotères.

Les objets en pâte de verre restent à l’époque punique très répandus. Mais ce n’est qu’à partir du IVe siècle que la principale aire de fabrication des éléments de colliers (masques, perles-masques, perles à coulées ou ocelles de couleur, pendants zoomorphes) se déplace de l’Orient vers Carthage. Les masques au style naïf – yeux ronds largement cernés, cheveux et barbe plaqués, torsadés ou tire-bouchonnés– et à la tonalité étrange et contrastée deviennent alors très nombreux, très grands et très beaux.

Les vases de terre cuite , enfin, ne se démarquent guère des modèles phéniciens jusqu’au Ve siècle pour se transformer progressivement jusqu’au IIe siècle. On trouve alors, à côté de poteries importées, des imitations étrusco-campaniennes ou rhodiennes et des pièces locales typiques: urnes à queue, jarres à pointe, biberons, vases plastiques, etc., parfois rehaussés de touches de couleur.

Les innovations puniques

L’art punique innove aussi, et de façon spécifique mais finalement conforme à l’esprit ancestral. Reprenant une formule préexistante – phénicienne ou non d’ailleurs –, il la soumet à d’infinies reproductions ou variations lui imprimant par là même son sceau.

L’estampille punique marque ainsi les ex-voto – cippes et stèles – recueillis dans les tophets, enceintes sacrées à ciel ouvert qui protègent des couches successives d’urnes cinéraires de nourrissons morts naturellement ou, peut-être, immolés aux dieux. Les cippes (des VIIe-VIe au IVe s.), qui ont quelques équivalents en Phénicie, abondent dans les sanctuaires puniques. Leur genre y est renouvelé par des variantes du type phénicien, des créations originales (cippes-trônes notamment) et une symbolique inédite. Les stèles (fin Ve-IVe au IIe s.), qu’annonce le modèle cintré oriental, se distinguent en général de celui-ci par un sommet pointu flanqué ou non d’acrotères et une iconographie à valeur symbolique extrêmement variée; elles foisonnent à Carthage.

Contrairement à la plupart de celles qui sont moulées, les statuettes tournées – votives (VIe-Ier s. av. J.-C.) – portent aussi l’empreinte punique. Étranges avec leur tête difforme, leur tronc ovoïde ou campaniforme au sexe souligné et leurs bras en forme de boudins, elles se présentent comme les variantes de prototypes venus du Proche-Orient. Le parti pris de simplification qui les caractérise témoigne d’une seule volonté de suggestion: en attirant l’attention (du dieu?) sur une partie du corps, elles expriment sans doute une prière.

De principe oriental aussi mais d’usage surtout funéraire, les masques et protomes humains de terre cuite connaissent des développements autonomes dans l’Occident phénico-punique. Les masques, qui proviennent sans doute d’une même source, représentent des Silènes, des acteurs ou des grotesques. À la fois précoces (VIIe s.) et variés, ces derniers, qui sont peut-être apotropaïques, ont les traits accusés par une grimaçante hilarité, des scarifications, des verrues et des rehauts de peinture. Les autres, qu’ont respectivement inspirés, à partir des Ve-IVe et IIIe-IIe siècles, mythologie et théâtre grecs, ont des oreilles pointues ou une bouche béante. Féminins et fardés pour la plupart, les protomes (VIe-IIe s.) sont assez stéréotypés. C’est que la référence égyptienne, matérialisée par la forme du klaft (coiffe à bandeau frontal et pans latéraux dégageant les oreilles), n’y est jamais abandonnée. Seul varie au gré des modes venues de Phénicie, d’Égypte, d’Ionie, de Rhodes, le traitement de la perruque (cercles, cannelures, etc.), du visage (volume, sourire, etc.), de la parure (de nez, de cou, d’oreilles).

Les rasoirs de bronze retrouvés dans les tombes, et dont Carthage est le principal manufacturier, évoluent vers une définition qui atteint son plein épanouissement pendant la période du IVe au IIe siècle. Dès le Ve siècle, ils perdent leur allure de couteaux. Ils prennent alors la forme, sans doute empruntée à des précédents égéens ou nilotiques, de hachettes plates martelées – noires ou dorées – à pédoncule en col de cygne, à tranchant opposé arrondi et à bélière ou trou de fixation latéral. Ils se couvrent de décors gravés au pointillé ou au trait, dont les thèmes sont puisés dans le patrimoine iconographique des autres arts mineurs puniques ou empruntés au monnayage grec: scènes de libation, Isis nourricière, Hermès...

Sont également représentatifs de l’art punique qui n’en crée pas la formule mais la vulgarise et la marque de son empreinte, les coquilles d’œufs d’autruches décorées . Ces pièces, qui sont plus ou moins prisées (VIe et IIIe s. surtout), se présentent entières, décalottées, sectionnées par le milieu (coupes) ou en fragments. La couleur rouge, considérée comme vivifiante, y domine sous forme d’enduit intérieur ou de dessins extérieurs. Les coupes sont peintes de motifs géométriques et végétaux surtout, et les fragments, de visages sommaires, fardés, aux yeux immenses. L’Espagne en a fourni les plus nombreux exemplaires, l’Afrique du Nord les plus importants centres de fabrication.

Les amulettes , sceaux et bijoux que rapproche une commune vertu talismanique sont d’abord caractérisés par leur profusion. Peut-être produites par Carthage, les amulettes authentiquement puniques sont le plus souvent faites – assez médiocrement – de pâte de verre émaillée et composent des colliers où, à côté de reproductions de mains, de pieds, de phallus, de masques, de perles, de coquillages, etc., dominent les effigies et attributs de divinités directement empruntées à la vallée du Nil. Quand ils ne sont pas importés d’Égypte ou de Phénicie, les scarabées, symboles de régénération servant d’amulettes ou de sceaux, sont produits par une industrie de haut niveau très active en Sardaigne aux Ve, IVe et IIIe siècles. Le plus souvent taillés dans le jaspe et parfois montés en pendentifs, ils arborent une iconographie aux styles variés, dont les références restent les aires culturelles habituelles auxquelles s’ajoutent, après le Ve siècle, l’Étrurie et la Grande Grèce. Quant aux bijoux dont les artisans de Tharros, particulièrement actifs et imaginatifs, rivalisent avec ceux de Carthage pour alimenter le marché méditerranéen, ils sont encore façonnés selon les techniques anciennes, mais ils se diversifient considérablement. Des solutions originales y sont apportées, qui mettent en œuvre or, argent ou pierres semi-précieuses et aboutissent à d’indéniables réussites esthétiques: étuis porte-amulette à protomé animal, pendants d’oreilles ornithomorphes, anneaux à bandeau ouvragé, bagues à chaton mobile, etc.

Les monnaies , émises d’abord en Sicile (milieu du Ve s.), sont au début en or et électrum, puis en argent, bronze ou potin, un autre alliage. Souvent élégantes, elles présentent des types assez peu variés. L’un des plus communs porte au droit une tête de Coré et, au revers, un cheval parfois associé à un palmier.

Sur un plan plus général, enfin, on notera que la symbolique punique , dont tous les artistes reproduisent à l’envi les thèmes et les figures, ne propose guère de schémas inédits. C’est pourtant elle qui, se faisant une spécialité de l’abstraction – en multipliant les symboles ésotériques («bouteille», losange, etc.) ou en s’exprimant par synecdoque (main levée, animal de sacrifice, colonne de temple) –, fournit le plus sûr et le plus illustre de tous les labels puniques: le signe dit «de Tanit». Composé d’un triangle sommé d’une barre horizontale supportant elle-même un cercle, ce symbole de sens impénétrable est en effet omniprésent dans l’art punique dès le IVe siècle (tombes, pavements, ex-voto, bijoux, etc.).

En définitive, l’art punique, savoir-faire d’artisan plutôt que d’artiste dans la grande majorité des cas, est un art de compromis. Conservateur comme l’art phénicien, il reste comme lui centré sur la religion, attaché aux formes ancestrales, réceptif aux modes venues de l’étranger: de l’Égypte d’abord, puis de l’Étrurie et, surtout, de la Sicile grecque et hellénistique. Mais en même temps doué d’une dynamique interne, il tend parfois à innover et transige alors avec son propre traditionalisme. C’est cette nature paradoxale, dont témoignent, par exemple, les ex-voto de pierre ou les rasoirs de bronze, qui donne une unité à son style – pourtant très diversement infléchi selon les lieux – et, surtout, qui fait son originalité.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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